Quand nous abordons l’histoire de l’Holocauste à l’aide d’une approche moralisatrice, nous occultons l’événement précis que représente l’Holocauste pour n’en faire qu’une métaphore.

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En septembre 2018, la Fondation Azrieli, en partenariat avec la Conference on Jewish Material Claims Against Germany (Commission pour la restitution des biens juifs spoliés par le régime nazi), a commandité une étude approfondie portant sur les connaissances générales et approfondies qu’ont les Canadiens sur l’Holocauste. Les résultats, publiés en janvier 2019, révélaient d’importantes lacunes, notamment le manque de connaissances élémentaires des Canadiens sur l’histoire de ce génocide.
Cette étude a démontré que 15 % des adultes canadiens n’ont jamais entendu parler ou ne sont pas certains d’avoir entendu parler de l’Holocauste. À la lumière de la récente hausse du nombre d’actes antisémites survenus au Canada et à l’étranger, nous pouvons donc nous interroger à savoir si les Canadiens ont pris davantage conscience de l’Holocauste au cours de la dernière année. Les actes antisémites ont-ils suscité des discussions sur ce génocide au sein de l’espace public?
L’étude indique que plus d’un quart des milléniaux et des membres de la génération Z (âgés de 18 à 34 ans) pensent que deux millions de Juifs ou moins ont été assassinés. Elle révèle également que la majorité des Canadiens ont déjà entendu parler de l’Holocauste, mais qu’une majorité d’entre eux (54 %) ignorent que six millions de Juifs ont été tués durant l’Holocauste. Ces résultats témoignent d’un écart important entre les connaissances générales et approfondies que possèdent la population canadienne. Il s’agit d’ailleurs d’un des défis liés à l’enseignement de l’Holocauste : un grand nombre de Canadiens ne connaissent pas les spécificités de son histoire.
Dans les salles de classe tout comme dans les débats publics, l’histoire de l’Holocauste est souvent abordée en des termes très généraux. Les Canadiens apprennent les conséquences qui surviennent lorsque la haine est exploitée comme outil de propagande par le pouvoir, mais aussi lorsque la démocratie est mise en péril et que la population se tait devant ce fléau. Ce sont là des leçons importantes à traiter. Cependant à trop se pencher sur ces leçons, on risque de perdre de vue les événements qui se sont réellement déroulés, et de créer un espace nébuleux où l’Holocauste devient l’analogie d’une foule de problèmes sociétaux. Il est impératif que l’Holocauste soit appréhendé et enseigné comme un événement historique distinct, et ce, à travers une compréhension claire des contextes politique, géographique et sociologique dans lesquels il s’inscrit. Quand nous abordons l’histoire de l’Holocauste à l’aide d’une approche moralisatrice, nous occultons l’événement précis que représente l’Holocauste pour n’en faire qu’une métaphore.
Par exemple, 76 % des Canadiens ont déjà entendu parler d’Anne Frank qui, à bien des égards, représente la victime de cette atrocité. Toutefois, seulement 23 % ont été en mesure de nommer les Pays-Bas – où Anne Frank vivait dans la clandestinité – parmi les pays où l’Holocauste s’est déroulé.
Le récit à la fois optimiste, mais aussi tragique d’Anne Frank est bien connu; en revanche, les spécificités historiques dans lesquels il s’insère ne le sont pas. Pour de nombreux Canadiens, les connaissances sur l’histoire de l’Holocauste peuvent se résumer comme suit : il s’agit d’une atrocité effroyable qui s’est déroulée en Allemagne (seulement 43 % des personnes interrogées ont identifié la Pologne comme autre pays où l’Holocauste s’est déroulé); ce genre de tragédie ne devrait plus jamais pouvoir se produire (48 % des gens estiment qu’un génocide comparable à l’Holocauste pourrait se produire dans d’autres démocraties occidentales); et que cela ne se produira assurément pas au Canada (27 % croit qu’un génocide comme l’Holocauste pourrait se produire aujourd’hui dans leur pays).

Nous n’arrivons pas à comprendre que notre gouvernement a choisi de « fermer ses frontières » et de tourner le dos à ceux qui tentaient d’échapper à un génocide.

Néanmoins, plusieurs connaissances élémentaires échappent à cette interprétation de l’Holocauste. Une politique clé est omise : la politique d’immigration du Canada, caractérisée par l’expression « Aucun, c’est déjà trop » à l’encontre des réfugiés juifs durant l’Holocauste. Seuls 19 % des Canadiens sont au courant de cette politique, alors que 32 % pensent que le Canada avait une politique d’immigration ouverte pour tous les réfugiés juifs à cette époque. Pour tout dire, nous n’arrivons pas à comprendre que notre gouvernement a choisi de « fermer ses frontières » et de tourner le dos à ceux qui tentaient d’échapper à un génocide.
Il existe chez les Canadiens un désir d’en connaître davantage sur le sujet. Une large majorité estime que l’Holocauste devrait être enseigné à tous les élèves pour empêcher qu’un tel génocide ne se reproduise. Une majorité de jeunes pensent que les programmes éducatifs proposés sur l’Holocauste à l’heure actuelle pourraient être améliorés. Je suis du même avis. Seulement, après avoir écouté les témoignages de survivants, avoir acquiescé à ce que cela ne puisse « plus jamais se produire » et s’être engagé à ne jamais oublier, quelle est la prochaine étape?

La montée de l’antisémitisme rappelle la nécessité d’enseigner l’histoire de l’Holocauste.

L’étude a démontré qu’il nous reste beaucoup à faire en tant que société. La montée de l’antisémitisme rappelle la nécessité d’enseigner l’histoire de l’Holocauste. Et heureusement, il y a de l’espoir. Plusieurs survivants de l’Holocauste sont toujours actifs, et témoignent de leurs expériences à des groupes d’écoliers. Les leaders mondiaux de l’enseignement de l’Holocauste continuent de développer des programmes éducatifs, s’efforçant de faire en sorte que ce qui est arrivé à six millions de Juifs soit bien compris – et ne soit jamais oublié. À l’échelle du pays, nous travaillons avec des partenaires extraordinaires qui proposent des ressources éducatives uniques aux enseignants qui souhaitent enseigner l’histoire de l’Holocauste – des plus grands centres sur l’Holocauste (Vancouver, Toronto et Montréal) aux organisations plus modestes à Winnipeg, Calgary et Halifax, ou encore grâce à Facing History and Ourselves et Yad Vashem.
À vrai dire, plus nous en faisons, plus nous suscitons d’intérêt. Au cours de la dernière année, nous avons intensifié nos efforts afin d’offrir aux enseignants des quatre coins du pays des ressources gratuites pour les aider à enseigner l’histoire de l’Holocauste en profondeur, mais aussi à travers une approche personnelle et engageante. Par exemple, ce mois-ci, chaque élève de niveau 10 du Toronto District School Board a reçu un exemplaire des mémoires de Pinchas Gutter, Memories in Focus. Nous avons aussi créé une page Facebook pour permettre aux enseignants d’échanger sur les défis que comporte la présentation de ce sujet en salle de classe.

Il y a 75 ans cette année, prenait fin la Seconde Guerre mondiale. Pour souligner ces commémorations, des diplomates et des survivants se réuniront à Yad Vashem, Auschwitz-Birkenau et dans le cadre d’autres événements organisés à travers le monde pour s’engager à maintenir le souvenir de l’Holocauste. Nous continuerons à travailler avec les enseignants canadiens ainsi que nos partenaires afin de créer un espace d’apprentissage sur le sort des six millions de Juifs qui ont péri durant l’Holocauste. Nous devons tous continuer à promouvoir et à enseigner cet événement historique, en bâtissant un pont critique entre notre compréhension de l’histoire et notre empathie.
Jody Spiegel est la directrice du Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste de la Fondation Azrieli et une membre de la délégation canadienne de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.

