« Chacun mérite de vivre dans la dignité »
Nous prenons de plus en plus conscience des difficultés auxquelles sont confrontés les enfants souffrant de troubles du développement neurologique, tels que la déficience intellectuelle, le spectre de l’autisme ou le syndrome de Down (Trisomie 21). Cela n’est toutefois pas suffisant, puisque ces troubles ne disparaissent pas avec le temps. En effet, ces enfants, une fois adultes, se retrouvent souvent marginalisés, non seulement dans notre société, mais aussi auprès des chercheurs et des professionnels de la santé.
Outre le manque de soutien et de connaissances dans le domaine, les personnes atteintes de troubles du développement neurologique sont beaucoup plus exposées au risque de maladie mentale telle que la dépression, l’anxiété ou la psychose. D’ailleurs, les statistiques sur le sujet sont alarmantes : environ 45 % de ces adultes souffrent également d’une maladie mentale ou d’une addiction – ce qui représente plus de 30 000 personnes âgées de moins de 65 ans dans la seule province de l’Ontario.
Dû au manque de solutions proposées pour traiter ce problème, ces adultes sont plus susceptibles de se retrouver un jour face à la justice pénale et/ou de recevoir des soins de santé d’urgence. De plus, les personnes souffrant de troubles du développement neurologique ou sujettes à des problèmes de santé mentale ont beaucoup plus de chances d’être surmédicalisées ou de recourir à l’automédication.
Pour aider les personnes concernées par ce double diagnostic, nous devons avant tout sensibiliser les acteurs qui se trouvent en première ligne – tels que les médecins de famille et le personnel des services d’urgence. C’est à cette tâche que s’attèle le Centre Azrieli sur les troubles du développement du cerveau et les maladies mentales des adultes au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH).
Dirigé par le Dre Yona Lunsky, le centre repose sur quatre piliers : l’innovation clinique, la recherche, l’enseignement et la formation, et le partage des connaissances.
C’est ce que nous explique le Dre Lunsky : « Pour changer notre façon de prodiguer des soins, nous devons former les spécialistes en santé mentale de demain — infirmières, médecins et étudiants dans les domaines de la santé. Ce centre nous permettra d’avoir, dans les 10 prochaines années, des personnes formées, avec de nouvelles compétences, qui travailleront aux quatre coins du pays. »
Elle poursuit : « Si nous parvenons à améliorer la qualité des soins primaires en amont, en travaillant plus étroitement avec les personnes souffrant de troubles et le personnel soignant, nous pourrons traiter plus tôt les problèmes de santé et empêcher qu’ils ne s’aggravent. »
Conseils pour les professionels des services de santé de première ligne
Les services de santé mentale sont-ils accessibles aux personnes autistes ? À vrai dire, les études démontrent que si les problèmes de santé mentale sont assez fréquents, les intervenants en santé mentale ne s’estiment pas assez compétents pour les traiter. Un médecin peut vous dire : « Je ne peux pas vous prodiguer ce genre de soins, vous devez consulter un spécialiste » à partir du moment où il existe des spécialistes. Mais que devons-nous faire lorsqu’il n’y a personne à qui s’adresser ? Soit nous avons besoin de plus de spécialistes, soit nous devons nous spécialiser davantage.
Ainsi, le CAMH prône la formation de plus de professionnels en santé mentale spécialisés en troubles de l’autisme, tout en permettant au personnel soignant d’élargir ses compétences. Pour cela, il faut avant tout s’informer directement auprès des personnes atteintes d’autisme et de leurs familles.
Reconnaître l’autisme comme faisant partie d’un ensemble
Le personnel des services de soins de santé doit être mieux qualifié pour déceler le spectre de l’autisme. Toutes les personnes atteintes d’autisme n’en afficheront pas nécessairement les symptômes, et ne partageront pas leur diagnostic si cela leur permet d’éviter des services de soins. Lors d’une évaluation, il est tout à fait acceptable de demander au patient directement s’il est atteint d’autisme, surtout s’il comprend que cette information nous permettra de mieux l’accompagner.
Reconnaître les premières manifestations de troubles mentaux
Si les troubles du spectre autistique ne devraient pas être considérés comme un problème de santé mentale, ils peuvent néanmoins le devenir, lorsqu’ils se manifestent dans un environnement qui leur est peu favorable. Près de 70 % des jeunes atteints du spectre de l’autisme sont également sujets à des troubles affectifs ou comportementaux, ou peuvent répondre à des critères se rapportant à des troubles d’ordre psychiatrique. Ces derniers prévalent aussi chez plus de 50 % des adultes, pour qui la dépression ou l’anxiété représentent les problèmes les plus fréquents. Nous devons donc aborder et promouvoir la question de la santé mentale, afin de prévenir l’escalation de ces troubles. Cela implique d’être à l’écoute des besoins des familles, d’assurer le soutien et la sécurité des jeunes autistes dans nos écoles, de faire en sorte qu’ils entretiennent des liens d’amitié et d’éviter qu’ils se retrouvent isolés. En d’autres termes, nous devons miser sur nos forces et ne pas simplement nous focaliser sur les problèmes.
Connaître les liens entre les problèmes de santé physique et mentale
Les problèmes de santé physique et mentale sont étroitement liés. L’utilisation de psychotropes à long terme, telle que généralement prescrite aux personnes atteintes d’autisme, peut engendrer des problèmes de santé physique, tout comme le manque d’activité ou une mauvaise alimentation. En l’absence de traitement, des infections telles qu’une otite ou un abcès dentaire peuvent entraîner des manifestations de détresse chez les personnes pour qui il est difficile d’exprimer son ressenti. Pour évaluer l’état de santé mentale d’un patient, il faut donc être pleinement conscient du lien étroit qui peut exister entre les états physique et émotionnel.
Entrevoir chaque interaction avec le système de santé mentale comme une rencontre thérapeutique
S’il est difficile de demander de l’aide auprès des services de santé, il peut être encore plus pénible de devoir le faire une seconde fois, quand la première expérience a été traumatisante. Après avoir enquêté auprès de familles, nous avons découvert que les parents de jeunes patients ne souhaitent pas faire appel aux services de santé mentale car ils trouvent les démarches trop pénibles et espèrent que les choses finiront par rentrer dans l’ordre par elles-mêmes. De leur côté, les parents d’adultes autistes refusent de recourir aux services de santé mentale à cause des mauvaises expériences qu’ils ont pu connaître par le passé. C’est pour cette raison qu’en tant que médecins, nous devons concevoir chaque interaction avec le système de santé mentale comme une intervention thérapeutique. Ainsi, même si nous ne nous estimons pas experts en la matière, nous pouvons prendre quelques mesures simples qui permettront de rendre les rencontres plus positives et encourageront les familles à faire appel aux services de santé.
Se montrer sensible aux sens et éviter les environnements trop stimulants, notamment lorsque qu’une personne atteinte d’autisme est en situation de stress
Pour cela, il faut prendre en compte l’éclairage, l’ambiance sonore et l’entourage du patient, ainsi que prévoir et encourager l’utilisation de différents outils adaptés permettant de contenir une surcharge sensorielle (comme par exemple, le port de lunettes de soleil ou d’écouteurs).
Donner davantage de son temps
Cela ne signifie pas de parler lentement ou plus fort, mais plutôt de vous assurer que votre propos est bien compris et que de votre côté, vous comprenez ce qui est dit.
Être à l’écoute : vous n’êtes pas le seul spécialiste de l’autisme dans la pièce
En effet, les personnes atteintes du spectre de l’autisme ont une façon singulière d’aborder le monde qui les entoure. Elles et leurs proches peuvent vous faire savoir ce qui leur est le plus adapté.
Accepter de ne pas tout savoir
Les personnes atteintes d’un trouble du spectre de l’autisme sont uniques. Chaque cas de santé mentale est compliquée et nécessite une connaissance de ce qui est propre ou non aux besoins du patient. Vous vous sentirez peut-être pressés d’apporter une réponse ou une solution rapide à son problème, mais en prenant votre temps, vous pourrez communiquer et créer un espace propice à son traitement qui lui sera à la fois valorisant et bénéfique sur le long terme.