Entretien avec Sharon Azrieli Perez

16 avril 2015

Célèbre soprano, Sharon Azrieli Perez s’est produite en Europe, en Israël, et à travers le Canada et les États-Unis. À l’opéra, son répertoire comprend de nombreux rôles, en particulier les héroïnes de Verdi, tandis que ses récitals de chansons l’ont conduite à Broadway. En tant que première femme cantor de Montréal, Dr Azrieli Perez a développé un intérêt tout particulier pour la musique juive et son influence sur le répertoire classique occidental. Elle a validé sa thèse de doctorat sur le sujet à l’Université de Montréal en 2011. Siégeant au conseil d’administration de la Fondation Azrieli et au Groupe Azrieli, Sharon Azrieli Perez préside également le Conseil d’administration de l’Orchestre de chambre McGill.

Sharon, comment définiriez-vous la notion de « musique juive » dans le cadre du Projet Azrieli de musique? 

La musique juive peut englober un certain nombre d’éléments. Elle peut faire partie intégrante de l’expérience juive ou graviter autour de celle-ci – elle la suggère ou la définit. Elle peut contenir des éléments de l’art cantorial, ce qui lui donne une dimension juive ; elle peut utiliser des fragments de chant de la Torah, ce qui lui apportera des caractéristiques juives différentes; elle peut faire appel à des mélodies de chansons juives – qu’elles soient ladino, hébraïques, yiddish, klezmers, folkloriques ou israéliennes ; elle peut être issue de n’importe quelle tradition dans laquelle les Juifs se sont intégrés en diaspora ; elle peut aborder l’histoire du peuple juif ; elle peut raconter un récit tiré de la Bible — de l’Ancien Testament. Et même si ce n’est pas l’objet du concours, elle peut également aborder l’Holocauste.

Pourquoi est-il important de créer de nouvelles opportunités de promouvoir la nouvelle musique d’orchestre juive en particulier ?

Parce qu’il n’y en a pas assez. Il y a trop de musique klezmer et beaucoup de pièces d’art cantorial. Mais à ma connaissance, il existe peu de grande musique savante. Par exemple, il me semble qu’on n’a pas encore découvert le nouveau ou la nouvelle Bloch – alors trouvons-le (ou la) !

Le Projet Azrieli de musique encourage les compositeurs de musique orchestrale contemporaine à « prendre des risques ». Qu’entendez-vous par là ?

Cela veut dire que vous ignoriez que vous étiez le nouveau ou la nouvelle Bloch car vous vous appelez Fitzpatrick ! Je viens de terminer le Kaddish [3e Symphonie de Bernstein avec l’Orchestre symphonique de Jérusalem] aux côtés de l’incroyable violoncelliste Michael Fitzpatrick, et je lui ai dit : « Mais vous interprétez Schelomo [d’Ernest Bloch] à la perfection ! », ce à quoi il m’a répondu : « Oh, vous savez, ma mère était juive ! » J’avais eu tort de le juger — tout l’intérêt de ce concours est qu’on n’est pas obligé d’être juif. Et en même temps, tout le monde est juif. Trouvez le Juif qui sommeille en vous – tout le monde peut être un kvetch !

Quelles œuvres de la musique juive vous ont particulièrement inspirée ?

Le plus amusant, c’est que j’ai été inspirée par Verdi [elle chante le thème soprano de Libera me du Requiem de Verdi] – ça, c’est très juif ! Ce n’était pas une pièce de « musique juive », mais ça en avait la sonorité. Verdi savait-il ce qu’il faisait ? L’a-t-il fait volontairement ? Certains affirment que sa grand-mère était juive. J’ai découvert qu’enfant, il a grandi à Le Roncole où l’école la plus proche se trouvait à Busseto, à six kilomètres de là, et à l’époque, il fallait y aller à pied. C’est pourquoi, à l’âge de 10 ans, ses parents ont dû l’amener en ville ; il logeait chez un cordonnier, une profession qui était alors pratiquée par les Juifs, car ils n’avaient pas le droit de posséder de terre ni de détenir de l’argent. Verdi a certainement dû entendre leur musique pendant les vacances. Et d’après certaines anecdotes qui ont été rapportées, si Verdi entendait ne serait-ce qu’une seule fois une mélodie qui lui plaisait, il l’utilisait. Il n’avait pas le moindre scrupule à emprunter des mélodies qui lui plaisaient et à les intégrer à ses opéras.

Le Projet Azrieli encourage les compositeurs à intégrer des thèmes issus de la vie et de l’expérience juives contemporaines. Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Porgy and Bess, West Side Story, Le Magicien d’Oz. Vous n’imaginez pas que ces œuvres «  reflètent la vie juive contemporaine », mais toutes ces musiques ont été composées par des auteurs juifs. Vous n’en n’avez pas conscience, mais à travers elles, vous percevez une « oreille juive ». Je crois que toute cette musique comporte des thèmes juifs. [Elle chante Somewhere Over the Rainbow (Au-delà de l’arc en ciel)] Je pourrais même trouver qu’il s’agit d’un air sur le mode Ahava raba, j’en suis sûre !

Qu’est-ce qui vous a motivée à créer le Projet Azrieli de Musique ?

La Fondation a toujours eu vocation à soutenir les arts et la musique. J’ai senti que ce projet était l’occasion idéale de développer cet aspect de notre mission. J’ai également l’espoir et le désir que le Projet Azrieli de musique connaisse suffisamment de succès pour continuer de grandir, en créant éventuellement un nouveau prix et en nous concentrant sur la musique canadienne. Et croyez-moi, la musique canadienne serait bien plus difficile à définir que la musique juive !