Entretien avec Boris Brott
27 avril 2015
Dans le cadre de notre série d’entretiens, maestro Boris Brott répond à quelques questions sur la musique juive et l’importance du mécénat dans le monde de la musique orchestrale.
Maestro Boris Brott est l’un des chefs d’orchestre canadiens les plus réputés sur la scène internationale où il mène une carrière de chef invité, d’enseignant, de conférencier et d’ambassadeur culturel. Il est le directeur artistique de l’Orchestre de chambre McGill, à Montréal, et du National Academy Orchestra du Canada, ainsi que premier chef invité au Teatro Petruzzelli, à Bari, en Italie. Il est également le directeur artistique du Brott Musical Festival, en Ontario, de même que le fondateur et le directeur musical de la New West Symphony, à Los Angeles. Boris Brott a par ailleurs été chef assistant au New York Philharmonic sous la direction du regretté Leonard Bernstein, directeur musical et chef du Royal Ballet à Covent Garden, chef principal de la BBC National Symphony of Wales et directeur musical de la Northern Sinfonia of England. Il est officier de l’Ordre du Canada, membre de l’Ordre de l’Ontario et grand officier de l’Ordre national du Québec.
Boris, comment définiriez-vous la « musique juive » ?
C’est compliqué ! Cela implique tellement d’influences. Le mot « juif » peut se référer à la religion, la culture et l’Histoire. Les Juifs de toutes nationalités ont peuplé tant de pays auxquels ils ont apporté toutes sortes de contributions essentielles.
Mais je préfère la version la plus inclusive des interprétations possibles. La musique juive illumine la culture juive, qu’il s’agisse de l’Ancien Testament ou des cultures vers lesquelles les Juifs ont migré. Par exemple, une œuvre qui décrit la vie des Juifs arméniens aura tout autant de valeur que celle qui parle des Juifs d’Éthiopie, des Israéliens ou des Américains.
Une grande partie de la littérature de ce qu’on appelle la musique « classique » est basée sur le christianisme. Bach, Beethoven, Händel, Verdi, Vivaldi, Tchaïkovski, etc., étaient tous des compositeurs chrétiens. L’Église a adopté cette musique comme élément de culte. Ces compositeurs ont aussi écrit des pièces profanes – influencées par la musique traditionnelle de leurs pays d’origine. À titre comparatif, il y a peu de compositeurs juifs de musique classique instrumentale et très peu de musique classique que l’on pourrait qualifier de juive à proprement parler. Donc, en quelque sorte, le Projet Azrieli de musique est l’occasion de rétablir l’équilibre.
Y a-t-il pour vous des œuvres de la musique juive qui ont eu une résonnance particulière ?
Eh bien, oui, même si elles ne constituent pas forcément de la musique « juive » dans le sens où elles ont des sonorités juives. Il y a Mahler par exemple, un grand compositeur juif qui s’est ensuite converti au christianisme. J’aime sa musique. Mendelssohn était lui aussi sans aucun doute d’origine juive. Bien que baptisé à la naissance, il était le descendant du philosophe juif Moses Mendelssohn. Je retrouve une certaine « judéité » dans la plupart de sa musique. Et puis, il y a mon mentor, Leonard Bernstein. La majeure partie de son œuvre est née de l’interaction entre son conditionnement en tant qu’Américain et son héritage juif. Chez lui, le plus fascinant demeure la façon dont certaines de ses œuvres non-juives sont teintées d’« hébraïsmes », notamment sa comédie musicale On the Town. Deux chansons de ce spectacle – Ya Got Me et Some Other Time – évoquent un mode de prière ashkénaze appelé Adonai malakh. On trouve d’autres exemples dans le final de sa Symphonie n° 2, L’Âge de l’anxiété, ainsi que dans Mass, sa pièce de théâtre inspirée d’un rite de l’Église romane et imprégnée de symboles juifs cachés. Il y a ensuite bon nombre des œuvres d’Ernest Bloch, dont Schelomo et Sacred Service.
Mais on peut aussi considérer des œuvres qui n’ont pas été composées par des Juifs. Par exemple, l’opéra Samson et Delilah – même si la question des origines juives ou non de Saint-Saëns subsiste. Le Festin de Balthazar de William Walton est un exemple d’œuvre d’un non-Juif portant sur un thème biblique [de l’Ancien Testament]. Kol Nidré de Max Bruch : la plupart des Juifs mais aussi des non-Juifs le considèrent comme juif de par son œuvre.
Pourquoi estimez-vous qu’il est important d’encourager la création de musique d’orchestre en particulier ?
L’orchestre symphonique est le meilleur moyen de composer et d’interpréter de la musique « pure ». Il a une dimension totalement internationale en tant que langage et la capacité de rassembler l’Humanité tout entière.
C’est une forme artistique vivante en évolution permanente, même si elle a besoin d’être enrichie d’un nouveau répertoire attractif et de qualité qui lui permette de répondre à l’intérêt des gens, du spectateur lambda. Je crois que le fait de l’associer à un thème « juif » permet de lui donner cette impulsion.
Il y a un nombre disproportionné de gens d’obédience juive qui attachent de l’importance à cette dimension culturelle et à cette expression – l’orchestre « classique » –, et qui le financent et le protègent. Je pense que la Fondation Azrieli contribue quelque chose d’absolument admirable en soutenant cette musique, notamment à une époque où de nombreuses fondations philanthropiques s’intéressent davantage à d’autres domaines.
En tant que membre du jury pour le Concours Azrieli de commandes et le Prix Azrieli de musique, que recherchez-vous ?
J’attends de la musique qui me parle, qui arrive à m’émouvoir. J’attends également de la musique qui attire l’attention d’un public qui, la plupart du temps, dispose de peu de « formation musicale ». Plus que toute autre chose de la vie, la musique permet de connecter notre cortex cérébral à notre âme. Vous n’avez pas besoin de « comprendre » la musique pour la « saisir ». Et au-delà de cet aspect, le Prix Azrieli met l’accent sur la nature juive des œuvres. J’attends de trouver une œuvre qui me rende fier de mon patrimoine.